Suzanne Doppelt
Le pré est vénéneux, 2007
book
80 pages
certaines nuits sont moins noires que d'autres, lune double, ciel neigeux, une multitude luisante dont les arbres qui bordaient la rivière étaient si couverts qu'ils ressemblaient à des lustres. Le...
certaines nuits sont moins noires que d'autres, lune double, ciel neigeux, une multitude luisante dont les arbres qui bordaient la rivière étaient si couverts qu'ils ressemblaient à des lustres. Le pré est magnétique, s'y promener quand le jour tombe sur le beau tapis odorant est un plaisir. Dans l'air des mouches volantes - une affection de la vue et des vers inconnus qui brillent dans le noir, clignent vers l'argent, ils servent de phare aux marins. Mais un bateau a été coulé, il laisse un long sillage. Un rayon sort de l'œil comme une antenne, on voit sur quoi il tombe, on ne voit pas sur quoi il ne tombe pas, le pré s'enfonce un peu plus dans le noir. Parfois un éclair ou alors une éclipse, il s'illumine : la lumière varie, crée des éclairages intermédiaires, les ombres volantes augmentent, l'atmosphère se colore autrement, les plantes et les animaux sont influencés, l'horizon change d'apparence. Puis la lune commence à sortir de la pénombre, un spectre continu ou en bandes colorées, elle la quitte et reprend tout son éclat. C'en est un, un targui blanc, muet et impassible, je le reconnais à sa façon de marcher. Dans le pré, le champignon fait de la lumière, le tournesol la cherche et dans la rivière, le zoo plancton et la raie électrique produisent des décharges violentes. Le peu de lumière ondule, glisse à travers l'air et sur la surface calme de l'eau ou bien vole comme les gouttes projetées par le tuyau d'arrosage. C'est l'heure la plus difficile pour conduire, le pré serait-il un champ rempli de poudre à canon ?