Occurrences: Michel Verjux, SOLO SHOW

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« Le signe lui-même est un lien.» Charles S. Peirce (1)

« Ce qui peut être montré ne peut pas être dit. » Ludwig Wittgenstein (2)

occurrences ?
Évènements, actes et signes à la fois, les œuvres se présentent à nous dans leurs occurrences physiques, et non pas, d’emblée, avec ce qui y est imaginé ou conçu par l’artiste. Mais, dans chaque cas, nous ressentons une certaine tonalité via ce qui nous est exposé ; il nous semble que, de chacune de ces œuvres, se dégage une certaine physionomie ; nous en avons une impression immédiate, malgré nous d’ailleurs, tout cela étant en outre assez variable, d’un individu à l’autre. En grande partie malgré nous, car nos perceptions et appréciations respectives sont largement induites par nos habitus, ces ensembles de dispositions psychiques et socioculturelles (relativement stables et durables, mais plus ou moins transformables) qui nous font percevoir, agir et penser.
 
Ce qui est en revanche beaucoup plus stable et durable, encore, que nos habitus, et par conséquent un tant soit peu partageable, c’est la constitution singulière, concrète, physique, de chacune de ces œuvres, leur occurrence. Lorsque nous appréhendons une œuvre en tant que signe, c’est-à-dire en tant que quelque chose conçu délibérément par quelqu’un pour quelqu’un d’autre, cette constitution physique (lumineuse ou matérielle) prime : elle est un passage obligé. Elle est l’objet donné à regarder et à voir. Cela dit, tout en étant incontournable, cet objet (image, installation ou processus, peu importe), en tant que réalisation, occurrence ou actualisation, renvoie à quelque chose de plus général, sémiotiquement parlant. Il renvoie, d’une manière ou d’une autre, à un type de signe, à quelque chose de plus général que ce qu’il est en particulier. Mais à quelle chose plus générale cet objet particulier renvoie-t-il : à quel sentiment, à quelle orientation, à quelle idée, voire à quel concept ?
 
En ce qui concerne mon travail, à quoi renvoie chaque éclairage ? Un passage obligé pour toute œuvre visuelle ? Un lien primordial, une relation indispensable ? Un évènement, un acte ou un signe d’exposition ? Une tonalité, une occurrence ou un type ? Une image, un indice ou un symbole ? Un geste (dispositif ou processus) minimal, nécessaire et suffisant ? Un simple terme — éclairer —, une proposition — éclairer, c’est déjà exposer —, ou une argumentation comme celle-ci : l’éclairage sur le mode de la lumière projetée orientée, cadrée et focalisée comme évènement, acte et signe d’exposition peut être considéré comme une œuvre d’art de nature complexe, à la fois perceptuelle, réelle et conceptuelle ? Chaque éclairage renvoie-t-il à tout cela, tout ou partie, ou bien à d’autres choses encore ?
Certes, pour toute œuvre, visuelle et plastique, ce que nous pouvons en dire ne peut être que quelque chose d’autre qu’elle-même dans ce qu’elle peut montrer. Tout commentaire, même le plus pertinent, lui tourne autour ; il ne peut prendre la place de l’œuvre. Ce qui n’empêche pas que nous puissions, malgré tout, la rencontrer : percevoir l’une ou l’autre des tonalités qui émanent d’elle — et voir ce qu’elle constitue en tant qu’occurrence !
 
Michel Verjux, Atelier du Patio, Montbard (à l’occasion de mon exposition Occurrences, à la galerie Martine Aboucaya, Paris — extrait de mes Notes à mon nombre de jours de vie, n° 24 991, automne 2024).


[1] Charles S. Peirce, The Annoted Catalogue of the Papers of C.S. Peirce, R. Robin ed., Amherst, Mass., University of Massachusetts Press, 1967, manuscrit n° 517.

[2] Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus [1918], Londres, Routledge & Kegan Paul Ltd, 1922, trad. franç. Gilles-Gaston Granger, Paris, Gallimard, 1993, § 4.1212.

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